Durant l’hiver 2020, EPFL Pavilions consacre son programme au thème de la robotique afin de susciter une réflexion sur les perspectives et scénarios émergents de ce domaine en pleine expansion. La prémisse de Nature of Robotics est d'offrir un regard non conventionnel sur le sujet de la robotique et d'étendre sa compréhension à des notions plus larges, situées à la frontière entre la science et les arts visuels. La robotique modulaire, reconfigurable, souple, micro et bio manifeste les scénarios émergents d'une discipline en constant renouvellement.
A travers les travaux d'artistes et les productions scientifiques des laboratoires de l'EPFL, Nature of Robotics invite à une réflexion contemporaine sur la place des agents artificiels dans nos écosystèmes naturels et sociaux. Les visions qui émergent des laboratoires sont juxtaposées à des créatures spéculatives, des dessins, des diagrammes et des vidéos produits par des artistes contemporains.
Nature of Robotics revisite la notion de ‘champ élargi’, en écho à l'expression de Rosalind Krauss "le champ élargi de la sculpture" ; cette notion est utilisée ici comme une approche curatoriale qui inscrit la robotique dans une réflexion liée à l'environnement.
La COVID-19 a introduit un nouveau sentiment de précarité, et le rôle des technologies est remis en question à la lumière d'un phénomène mondial qui nous remet en cause à notre niveau le plus fondamental. Tout comme Bruno Latour l'avait prévu en relation avec la crise écologique, "tout le tissu de l’existence" 1 est impliqué dans notre réponse à la COVID-19. Le virus nous a minés d'abord dans notre corps, puis dans nos habitudes, intensifiant notre dépendance à la technologie pour la survie et la communication ; à l'origine même de la pandémie se trouvent les conséquences de notre relation controversée avec l'environnement et la violente altération des écosystèmes. Les perturbations causées par la pandémie ont recadré nos préoccupations : à une échelle profondément imbriquée, les animaux et les hommes, l'environnement, la biologie et la technologie apparaissent comme les facteurs interdépendants d'une crise en cours. Tous sont les acteurs/agents de ce qui pourrait être un dépassement, voire une transcendance de ses forces destructrices.
Nature of Robotics élargit le champ de cette réflexion, en remettant en question la robotique en tant que science ; elle révèle comment les avancées et les développements technologiques sont structurellement dépendants d'un processus d'investigation et d'apprentissage par ‘l'observation’ du monde naturel. Observateurs prudents et créateurs inventifs, artistes et scientifiques explorent les complexités de nos écosystèmes biologiques.
- Notre traduction ↩
Loin d'une présentation historique de l'art robotique, l'exposition entend néanmoins reconnaître cette tradition, notamment à travers l'œuvre pionnière de Jean Tinguely. D'une part, son travail rappelle la tradition de l'art mécanique et, d'autre part, inaugure la notion d'"expansion" et d'"environnement" à travers un film tourné dans le désert du Nevada en 1962, anticipant la théorisation ultérieure de Krauss.
L'itinéraire de l'exposition conduit le visiteur du désert du Nevada de Tinguely au ciel du Nevada de Trevor Paglen. les escargots robotisés d'Urs Fischer, le robot artificiel souple sous la forme d'une raie manta de Melissa Dubbin et Aaron S. Davidson, les créatures de Lea Pereyre, la mouche (Musca domestica) de Adrien Missika, Otto, la machine à dessiner de Jürg Lehni, sont en relation avec une série de modèles récents de robots dans une alternance de vertébrés amphibiens, de microrobots biocompatibles, de robots origami à l'échelle des insectes et modulaires, et leurs applications associées dans des environnements à plusieurs échelles allant des fluides physiologiques à l'espace.
La Visual Philosophy d'Agnes Denes ponctue l'espace d'exposition ; le regard d'Alexandra Daisy Ginsberg sur la biologie synthétique et les films de Basim Magdy, interrogent métaphoriquement les trajectoires ouvertes par la recherche scientifique. Les visions d'un sublime post-futuriste de Suzanne Treister, tandis que les créatures quasi science-fiction de Katja Novitskova alimentées par l'imagerie du Laboratoire de systèmes MicroBioRobotiques de l'EPFL et les animations visqueuses de Claudia Comte, renvoient à un futur hypothétique. L’installation site-specific d’Haseeb Ahmed établit un parallèle entre la bourse mondiale et les phénomènes météorologique, et les photographies de Trevor Paglen, rappellent l'implication des technologies robotiques dans les pratiques de guerre et de surveillance.
Reconnaissant l'"expansion" comme une méthode, l'exposition explore l’intérêt de "penser le champ élargi" comme une façon d'aborder le réseau de plus en plus interconnecté des discours artistiques et scientifiques. Les récits qui traversent l'espace conduisent à la création de telles connexions. Grâce à une séquence orchestrée de manifestations artistiques et scientifiques, l'exposition élargit ainsi le champ de la robotique pour la comprendre comme une discipline à plusieurs niveaux, magnifiant notre observation, notre connaissance et notre imagination des environnements et des écosystèmes passés et futurs.